Le syndrome de la page blanche : comment le surmonter ?
Ah, la fameuse page blanche ! On part tous de là. D’une page blanche. C’est beau une page blanche, l’endroit où il y a tout à construire, où tout est encore possible, où toutes les idées sont encore bonnes. Une page blanche, c’est plein d’espoir, c’est la liberté, le pouvoir de tout imaginer.
C’est aussi la peur qui grandit quand on reste figé devant son écran, le curseur qui clignote, inlassablement, sans parvenir à noircir son nouveau document Word.
Cette peur, lorsqu’elle devient paralysante, porte un nom : la leucosélophobie. Selon l’encyclopédie, c’est une crainte qu’éprouve un écrivain de ne pas trouver l’inspiration au moment de commencer ou de poursuivre une œuvre.
À la page blanche, tous les auteurs y sont un jour confrontés, plus ou moins souvent, plus ou moins intensément, quels que soient leur expérience, leur méthodologie, leur idée de départ ou le genre de textes qu’ils écrivent : des articles ou des romans (fiction, non-fiction, fantastique ou réaliste).
La page blanche, ce n’est pas un manque d’inspiration, ou plutôt, ce n’est pas seulement un manque d’inspiration. C’est un blocage dû à la volonté tellement grande de faire une œuvre parfaite que toute idée venant à l’esprit de l’auteur lui semble mauvaise. Le syndrome de la page blanche, c’est la peur de mal faire. Une angoisse tellement envahissante qu’il devient alors impossible pour l’auteur de commencer ou de poursuivre son œuvre. Lorsqu’elle se prolonge dans la durée, cette peur peut se traduire par un abandon de l’œuvre ou une période de dépression durant laquelle un auteur perd totalement confiance en lui.
Il était une fois, mon expérience de la page blanche
Cela m’est arrivé. Lors de l’écriture de mon premier roman. Avant de commencer à écrire pour la première fois un livre - alors que je n’avais jusqu’ici écrit que des articles pour la presse - j’ai beaucoup étudié : en lisant (allant même jusqu’à prendre des notes pour copier mes auteurs préférés), en regardant des films (pour les scénarios) ou en essayant d’apprendre les meilleures techniques dans les manuels consacrés à l’écriture de romans ou en visionnant des vidéos sur le web. Je me suis tellement préparée à écrire un livre que je me suis mis une pression folle en me disant qu’il fallait que je fasse comme ci et comme ça, que je chasse quelques réflexes de journaliste, que je développe mon imagination, etc. Si tant est que lorsque j’ai commencé le premier chapitre, j’ai maquillé mon écriture naturelle pour essayer de ressembler aux écrivains que j’avais pris comme modèle. Et j’ai tellement intellectualisé le procédé d’écriture, qu’après trois mois de dur labeur, j’avais écrit seulement deux chapitres que j’avais repris encore et encore, sans jamais être satisfaite (à raison, ils étaient très mauvais). Ainsi, j’ai tout laissé de côté pendant trois longs mois. Trois mois où je me suis dit que c’était nul, que je n’y arriverais jamais. Au bout de ces 90 jours, j’ai eu l’idée de proposer mes deux premiers chapitres en bêta-lecture à des personnes indirectement liées à moi, des lecteurs qui me diraient, d’une façon ou d’une autre, si je devais persévérer ou si tout cela ne servait à rien, car mes essais étaient vraiment trop mauvais. Je me disais que si ces personnes m’encourageaient, je pourrais reprendre assez confiance en moi pour continuer la rédaction de mon manuscrit et dépasser ce blocage. Et cela a fonctionné : mes trois bêta-lecteurs – qui ne me connaissaient pas avant de lire mes textes - sont revenus vers moi avec des commentaires positifs, des remarques constructives, des idées pour améliorer ces premiers chapitres, et je me suis remise au travail quasiment sur-le-champ. Mais au lieu de reprendre une énième fois mes deux premiers chapitres, dont je n’étais toujours pas satisfaite, j’ai décidé d’avancer et le reste de mon roman a été écrit, non sans mal, mais avec plus de fluidité.
Quand vous êtes bloqué, que la peur vous envahit, quand vous vous dites que votre histoire ne va intéresser personne, que vos idées ne sont pas assez originales et que vous n’avez aucun style, il existe différents moyens de casser ce cercle vicieux et de retrouver le goût de l’écriture et la confiance en soi. Pour moi, ça a été de prendre des avis (commentés et bienveillants). Pour d’autres, il suffira d’écrire n’importe quoi, peu importe si cela a un rapport ou non avec l’article ou le récit qu’ils sont en train d’écrire, le tout étant d’écrire pour retrouver une dynamique. D’autres remettront leur phase d’écriture à plus tard, quand certains préfèreront aller faire de l’exercice pour se vider la tête. John Steinbeck, auteur américain de 16 romans et Prix Nobel de la littérature en 1962, conseillait ceci : « Faites comme si vous écriviez, non pas pour votre éditeur, un public ou des lecteurs, mais pour quelqu’un de proche, comme votre sœur, votre mère ou une personne pour laquelle vous avez de l’affection. » Écrire avec le cœur et les sentiments amène l’auteur à un certain lâcher-prise, un état souvent salvateur pour se remettre à l’écriture de son livre.
Bien plus qu'un manque d'inspiration
Au syndrome de la page blanche, il n’existe pas un remède miracle. Cela dépend de chacun, de son rapport à l’écriture et du degré de blocage. Certains (peu nombreux) disent même qu’il ne s’agit que d’un mythe ; d’autres, d’un simple manque d’inspiration. Mais le syndrome de la page blanche, la leucosélophobie, si on s’en réfère à la définition de l’encyclopédie, c’est bien plus que cela. C’est un manque d’idées, d’inspiration, mêlés à un cruel manque de confiance en soi (soudain ou inhérent) et une pression importante venant du fait que le texte que vous êtes en train d’écrire a vocation à être publié, tout au moins montré à vos proches. L’histoire publiée, contrairement au journal intime ou aux textes que l’on écrit pour soi, s’apparente à une mise à nu, même lorsqu’il s’agit d’une fiction. Comme tout artiste, un danseur, un chanteur ou un peintre, réaliser une œuvre, une danse, une chanson, que nous souhaitons ensuite montrer aux autres, au monde, engendre inévitablement un stress, des questionnements, des remises en question, des doutes (à moins de ne prendre conscience de la chose qu’une fois l’œuvre terminée).
Quand vous imaginez ou imaginiez votre vie d’écrivain, vous vous voyiez installé derrière votre ordinateur, vos doigts courant, que dis-je, virevoltant sur le clavier, votre imagination en ébullition, les mots se bousculant dans votre tête puis se rangeant en file indienne, parfaitement ordonnés, pour apparaître presque par magie sur votre écran. Et puis le point final de votre œuvre posé quelques jours ou semaines plus tard, vous, un sourire aux lèvres, satisfait d’avoir terminé cette première phase de travail. Heureux à l’idée de relire votre texte dans quelque temps pour y faire de menues corrections avant de l’envoyer aux maisons d’édition. Oui, c’est bien joli tout cela, mais dans la réalité, ça ne se passe (presque) jamais comme ça. Amélie Nothomb écrit son premier jet en quelques semaines - après avoir mentalement construit son roman - et l’envoie tel quel à sa maison d’édition, Albin Michel. De tous points de vue, et dans le bon sens du terme, Amélie Nothomb est un ovni littéraire et les écrivains aguerris sont aussi parfois en manque d’idées et confrontés au syndrome. Le phénomène de la page blanche n’est pas réservé aux auteurs débutants. Ils y sont simplement un peu plus souvent confrontés parce qu’ils n’ont pas encore trouvé le moyen d’y faire face.
Ernest Hemingway disait avec beaucoup de justesse, je trouve : « La meilleure façon d’écrire, c’est de toujours vous arrêter quand vous arrivez à bien écrire et que vous savez déjà ce qui va se passer ensuite dans votre histoire. Si vous faites cela chaque jour, vous n’aurez jamais de blocage. » Il avait, semble-t-il, trouvé son truc à lui pour poursuivre un texte et cette réflexion semble pleine de bon sens. Si vous arrêtez systématiquement votre travail d’écriture quotidien au moment où vous pensez être arrivé au bout du chemin, au moment où l’inspiration vous fait défaut, au moment où vous êtes fatigué, ou quand vous avez faim, cela n’a pas vraiment de sens, car qu’en sera-t-il le lendemain ? Alors que si vous décidez d’interrompre votre travail quand c’est le bon moment et que vous savez comment vous allez poursuivre votre histoire, vous aurez hâte de retourner derrière votre ordinateur et vous vous jetterez littéralement dans votre histoire.
10 idées pour noircir vos pages
Emmanuelle Jappert, écrivaine et coach littéraire, explique dans un article publié sur notre blog et intitulé Écrire avec l’intuition ou la structure ? qu’une méthode de travail n’est pas opposable à une autre, que les auteurs qui rédigent des plans n’ont ni raison ni tort, face à ceux qui n’en font pas. Le syndrome de la page blanche n’a rien à voir avec la rédaction d’un plan ou la méthodologie de travail. Le blocage est psychologique et il n’existe donc pas de bonne méthode pour éviter d’être confronté au phénomène. En revanche, il existe quelques astuces pour le surmonter, que chacun pourra essayer d’appliquer en fonction de sa problématique, de sa personnalité et de ses procédés intellectuels.
1. S’inspirer dans les livres et ailleurs
Lire des romans de Toni Morrison, regarder tous les films de Quentin Tarantino, aller au musée voire la dernière exposition des photographies de David La Chapelle… Nourrir votre esprit de créations artistiques peut être inspirant et stimulant pour recommencer à écrire et reprendre votre travail là où vous l’avez laissé.
2. S’arrêter au bon moment
Suivre le conseil d’Ernest Hemingway, en interrompant votre travail d’écriture au moment où les mots sont fluides, où vous savez exactement où vous allez.
3. Travailler à plusieurs
Trouver un partenaire d’écriture et planifier des séances, vous obligera à vous dépasser et à écrire votre texte coûte que coûte, ne pas rester enfermé dans vos certitudes et vos doutes. Stephen King disait dans son livre de conseils aux auteurs, Écriture : Mémoire d’un métier : « Si vous voulez devenir écrivain, vous devez faire deux choses avant toutes les autres : beaucoup lire et beaucoup écrire. » Avoir un partenaire d’écriture, vous permettra aussi de demander de l’aide si c’est l’intrigue, par exemple, qui vous bloque dans l’écriture de votre roman.
4. Entrer dans une routine
Se créer une routine d’écriture répond au même procédé : vous obligez à écrire. À cela, vous pourriez ajouter un objectif par exemple de 1000 mots par jour. Certains d’entre nous réagissent bien au challenge et pourraient ainsi trouver le moyen d’avancer.
5. Faire un brainstorming
Tenter l’exercice du post-it qui consiste à écrire à la volée des mots sur de petits bouts de papier, tout ce qui vient à l’esprit quand vous pensez à une thématique, une problématique, puis de les rassembler et de regarder ce qu’ils vous inspirent. Changer votre manière d’aborder l’écriture, en passant non par la construction de phrases, mais par un brainstorming solitaire sur post-its, pourrait s’avérer efficace pour retrouver le goût, l’envie et l’inspiration.
6. Souffler et prendre du recul
Faire une longue pause, de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Si vous relâchez la pression, des idées pourraient surgir, l’envie reviendra, vos capacités à écrire aussi.
7. Laisser de côté et passer à un autre chapitre
Sauter des chapitres peut également être pertinent si vous avez la sensation que le passage que vous avez à écrire vous bloque. Que l’on déroule une histoire avec ou sans la rédaction préalable d’un plan, à partir d’une trame ou de chapitres détaillés, le syndrome de la page blanche peut survenir à n’importe quel moment dans l’écriture de votre roman. Mais bien souvent, le climax (point culminant d’un texte), et les grands rebondissements sont moins sujets au phénomène de la page blanche.
8. Buller, aérer son esprit, ralentir son activité cérébrale
Sortir de chez vous, faire autre chose, voir du monde, faire de l’exercice physique, s’aérer l’esprit et voir ainsi votre travail avec un peu de recul pourrait vous permettre de passer le cap. Robert Greene, auteur américain, l’explique très bien dans son livre Les lois de la nature humaine : « Le cerveau est constamment à la recherche de similitudes, de différences et de relations entre ses pensées et ses expériences. Votre tâche est de nourrir cette tendance naturelle… Et l’un des meilleurs moyens d’y parvenir consiste à lâcher prise sur votre problématique actuelle. Lorsque nous sommes absorbés par un projet particulier (la rédaction d’un article, d’un livre, d’un guide), notre attention tend à devenir de plus en plus étroite à mesure que nous nous concentrons… Lorsque nous sommes plus détendus, notre attention s’élargit naturellement et nous recevons davantage de stimuli. La plupart des découvertes scientifiques… se produisent lorsque le penseur ne se concentre pas directement sur le problème. » Surfer sur le web, buller un peu, vous offriront aussi ces moments de déconnexion et de détente.
9. Se recentrer sur le « pourquoi »
Se rappeler la raison pour laquelle on écrit, sur le principe de la visualisation, peut permettre d’éviter la page blanche. Se remémorer pourquoi on veut atteindre tel objectif, nous aide à y parvenir.
10. Donner à lire son premier jet, ses premières pages
Trouver des bêta-lecteurs alors que vous êtes en cours d’écriture. C’est ce que j’ai fait de manière tout à fait désorganisée pour mon premier roman. Mais si vous voulez aller plus loin, vous pourriez imaginer réaliser un sondage auprès de vos lecteurs (à l’aide d’un formulaire de Google Forms, par exemple), en leur demandant ce qu’ils pensent de votre travail : ce qui les attire, les touche, les intéresse, vous pourriez leur demander de décrire les caractères des personnages, ce qu’ils ont compris de l’histoire jusqu’à maintenant… Tout ce que vous voulez, pourvu que votre demande soit précise et orientée, cela dans le but de recueillir des réponses argumentées et constructives. Car évidemment, si vous demandez à votre mère de relire vos premiers chapitres en lui demandant dans un SMS : « alors, t’en penses quoi ? », elle vous répondra que vous êtes formidable, bien meilleur que tous les écrivains publiés jusqu’alors, et ajoutera qu’elle le dit de manière tout à fait objective. Avec ça, je ne suis pas sûre que votre curseur clignotant sur la page blanche avance beaucoup plus vite.