Anaëlle Chaudet : guide de survie pour les écrivain·es
Par
Le
Parce que le danger ne vient pas toujours d’un ours affamé dans la forêt, mais parfois d’une page blanche le dimanche soir à 23h49.
1. Le terrain escarpé, mais fascinant
Écrire, c’est comme décider de traverser un marais sans savoir si tu vas poser le pied sur un caillou ou t’enfoncer jusqu’aux genoux. Il n’y a pas de carte, pas de GPS, juste une boussole intérieure (plus ou moins fiable selon ton niveau de sommeil).
On ne devient pas écrivain le jour où l’on publie un livre. On le devient le jour où l'on décide de sauter à pieds joints dans le marais. En écrivant, en hésitant. En détestant tout ce qu’on vient d’écrire. Puis en revenant quand même le lendemain.
Écrire, ce n’est pas une ligne droite : c’est un sentier accidenté avec des phases de rando tranquille, de tempête émotionnelle et de pause biscuit.
2. Les dangers en embuscade
Le premier obstacle, ce n’est pas le regard des autres. C’est ta propre voix intérieure, cette créature sarcastique qui te murmure :
- « Tu crois vraiment que ça vaut le coup ? » ;
- « Tout le monde a déjà dit ça, non ? » ;
- « C’est nul. Et en plus j’ai oublié un accent circonflexe. »
Bienvenue dans le syndrome de l’imposteur avec options anxiété et perfectionnisme. La bonne nouvelle ? Tu n’es pas seul. La mauvaise ? On ne s’en débarrasse jamais totalement. Mais on apprend à avancer avec lui, comme avec un compagnon de voyage un peu lourd, qu’on finit par tolérer tant qu’il ne conduit pas.
Et si tu t’attendais à écrire en paix… surprise ! Chaque avis extérieur (ou silence radio après un partage de texte) peut être une embuscade émotionnelle. Dans ces moments-là, souviens-toi que :
- Tu n’es pas ton texte ;
- Tu n’es pas ton style ;
- Tu n’es pas ton protagoniste (quand bien même vous partagez un traumatisme et ton amour pour les chips).
Tu es celui ou celle qui a le courage d’essayer. Et de continuer. Parce qu’on n’abandonne pas en plein milieu d’un marais. On avance, on râle, on glisse parfois, mais on finit par se sortir de là.
Et parfois, c’est là qu’on trouve une idée brillante. Pile quand on était à deux doigts de jeter le carnet.
3. L’équipement essentiel pour survivre dans la jungle littéraire
- Un fichier ou un carnet que tu n’as pas peur de raturer (non, aucun carnet n’est « trop beau » pour ça) ;
- Un espace mental où tu peux écrire sans chercher à plaire ;
- Des phrases nulles (oui, c’est normal) ;
- Des phrases étonnamment justes (qui te surprennent toi-même, mais c’est normal aussi) ;
- Le droit, non, le devoir de faire des pauses ;
- Et surtout : un filet de sécurité émotionnel (auteurs, amis, newsletter bienveillante, chocolat noir…).
L’écriture n’est pas un examen. C’est une pratique, un chemin. Parfois en rangers, parfois en tongs, mais toujours en mouvement.
4. L’épreuve du premier jet : accepter le chaos
Le premier jet, c’est le moment où tu veux tout jeter… sauf que, sans lui, il n’y a rien à retravailler. C’est l’étape la plus inconfortable : tu sens bien que ce n’est pas encore ça, mais tu n’as pas assez de recul pour comprendre pourquoi.
Accepte que ton texte, à ce stade, ressemble à une cabane montée sans plan, par temps de pluie, avec trois bouts de ficelle et un marteau qui tape de travers. Rien ne ferme bien, le toit fuit, et tu ne sais plus si c’est une cabane… ou un abri pour hérisson.
Mais c’est déjà une construction. Quelque chose de réel. Quelque chose que tu pourras renforcer, découper, repeindre, revisiter.
Ton boulot ? Aller jusqu’au bout, même si tu sais que tu reviendras tout démonter. Sinon, tu risques de rester bloqué à mi-chemin, à contempler une façade inachevée. Et un texte inachevé, c’est comme une maison sans toit : impossible d’y poser tes valises ou d’y inviter qui que ce soit.
5. La relecture : quand l’écrivain devient architecte
Tu croyais que le plus dur était fait ? Haha. Bienvenue dans la relecture.
C’est le moment où tu regardes ta cabane et réalises qu’elle penche à gauche, qu’il y a une lucarne au sol, et qu’un personnage est mort deux fois.
Mais tu sais quoi ? C’est normal. Relire, ce n’est pas juste corriger des fautes. C’est revenir avec un regard neuf, et poser les questions qui piquent :
- « Pourquoi cette scène est là ? » ;
- « Est-ce que ce dialogue sert vraiment à autre chose qu’à me faire plaisir ? » ;
- « Mon personnage est-il cohérent avec ce qu’il traverse ? ».
C’est là que ton abri de fortune devient une vraie construction. Tu ajustes les fondations, redresses les murs, ajoutes des ouvertures… Et parfois, tu démolis tout un pan de mur pour laisser passer la lumière.
Parce qu’à force de relire, corriger, ajuster, tu finis par apprivoiser ton texte. Tu comprends ce que tu voulais vraiment dire. Tu vois ce qui fonctionne, ce qui sonne faux, ce qui manque.
Et si tu prends le temps d’aller au bout de ce travail-là, tu peux transformer ton premier jet en un texte plus solide. Pas parfait, mais fidèle à ce que tu voulais raconter.
6. La pause biscuit (indispensable)
À ce stade, tu as traversé le marais. Tu t’es enfoncé, tu t’es cogné, tu t’es peut-être demandé pourquoi tu faisais ça, et pourtant : tu es encore là. Alors, pause. Respire et prends un biscuit.
Parce que l’écriture, ce n’est pas que les efforts et les versions successives. C’est aussi les moments où tu relis un vieux texte et tu te dis : « Whaou. J’ai vraiment écrit ça ? » Parfois pour en rire. Souvent pour réaliser que tu as évolué.
Relire tes anciens mots, c’est comme retomber sur une photo de toi ado avec un serre-tête douteux : c’est gênant, mais attendrissant.
Même si tu n’as pas fini ton roman. Même si tu doutes encore. Même si tu es loin de ce que tu imagines : tu es en chemin. Et ça, ça mérite une pause biscuit.
7. Tu as le droit…
- D’écrire sans savoir où tu vas (la base de la base) ;
- D’avoir besoin de dix versions pour en aimer une ;
- De t’arrêter et de recommencer ;
- D’avoir peur (et d’y aller quand même) ;
- De croire que ton histoire mérite d’exister.
Tu n’as pas besoin d’être lu par des milliers de gens pour que ton écriture ait de la valeur. Tu as juste besoin d’un espace, d'un peu de temps, et de la permission de te lancer (et si tu l’attendais, je te la donne).
Continue d’avancer, même avec les pieds mouillés.
Tu es déjà dans le marais. Peut-être trempé, fatigué, mais debout. Et si tu lis cet article, c’est que tu n’as pas renoncé. Alors, continue. Un mot après l’autre. Une idée bancale, puis une autre plus claire. Une cabane, puis une terrasse.
Tu n’as pas besoin d’être rapide, ni brillant, ni sûr de toi. Tu as juste besoin de rester. De revenir. De croire que ton histoire vaut le détour, même si tu dois faire demi-tour quinze fois pour trouver le bon sentier.
Allez. Enfile tes bottes. Le marais t’attend.